Login

« NOUS AVONS CHOISI L'HERBE POUR RÉSISTER AU YO-YO DES PRIX »

PHOTOS : ANNE BRÉHIER

DANS LE MIDDLE WEST, WENDY ET GREG GALBRAITH FONT PARTIE DE CES ÉLEVEURS AMÉRICAINS QUI ONT REDÉCOUVERT LES VERTUS DU PÂTURAGE.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

LOIN DU MODÈLE INTENSIF CALIFORNIEN dominant aux États-Unis (gros troupeaux en zéro pâturage avec une alimentation à base d'ensilage maïs), Wendy et Greg Galbraith ont développé depuis vingt ans un système herbe pâturage. Inspiré du modèle néo-zélandais, leur système d'exploitation a été adapté à un contexte climatique local plus rude. « L'hiver, entre décembre et mars, il faut compter avec la neige et le froid », expliquent les éleveurs du Middle West à la tête d'un troupeau de 108 laitières croisées holsteins-milking shorthorns. Les températures moyennes de - 8°C dans la journée peuvent descendre à - 18°C. L'été est chaud (27°C en moyenne, plusieurs jours à 32°C en 2011). En revanche, les précipitations annuelles (860 mm de pluie et neige fondue) sont bien réparties.

« DES VACHES TARIES DE DÉCEMBRE À FÉVRIER, PÉRIODE DE GRAND FROID »

Le système d'exploitation des Galbraith se caractérise par un niveau réduit d'intrants et d'équipements (bâtiment et matériel). La stabulation, un ancien hangar à matériel, est réservée l'hiver aux animaux les plus fragiles : les petits veaux femelles, les génisses qui vont avoir leur premier veau au printemps et les primipares. « Pour le reste du troupeau, nous sacrifions quelques parcelles dotées d'abris naturels contre le vent et sur lesquelles nous déroulons des balles rondes de foin », précise Greg. Le matériel en propre est limité à deux tracteurs (un 85 ch de 2005 et un 65 ch de 2007) et à une presse à balles rondes (foin et enrubannage). Celle-ci est utilisée chez le voisin qui leur vend, en contrepartie, du maïs ensilage. Taries entre décembre et février, période de grand froid, les 108 vaches du troupeau vêlent au printemps entre mars et mai, ce qui permet de caler le cycle de production laitière sur la pousse de l'herbe et de valoriser au mieux le pâturage. « L'objectif est de faire pâturer le plus longtemps possible, jusqu'à novembre voire début décembre, mais jamais au détriment des parcelles, accessibles de part et d'autre d'un chemin stabilisé. » Disposés de part et d'autre, les paddocks font entre 0,80 ha et 3,2 ha (2 et 8 acres, 1 acre = 40,46 ares). Selon la pousse de l'herbe, les vaches reviennent toutes les deux à trois semaines sur la même parcelle. Toutes les douze heures, après chaque traite, les vaches ont de l'herbe fraîche. « Avec le quad, 5 min suffisent pour dérouler le fil », précise Greg. En début d'été, il faut veiller à bien gérer « l'explosion de l'herbe » pour ne pas se faire dépasser… Classique. En pleine pousse en juin, des parcelles sont ôtées de la rotation et fanées. Pour faciliter la conduite du pâturage au fil (avant et arrière) et limiter les zones de piétinement, les bacs d'abreuvement ont été enlevés des parcelles il y a trois ans, et installés près de l'aire d'attente de la salle de traite. Les abreuvoirs ont été maintenus dans les parcs des génisses. Quand les étés sont secs et en fin d'automne, les vaches sont complémentées avec du foin. Pour avoir suffisamment de fourrage, 40 ha supplémentaires (100 acres) sont loués à un voisin et récoltés en foin ou en enrubannage. Chaque année, les éleveurs achètent également 80 t d'ensilage de maïs. Ce dernier est distribué en début de printemps aux laitières quand les sols trop boueux rendent le pâturage difficile.

« PARMI LES PREMIERS DE LA RÉGION À CROIRE AU PÂTURAGE »

Wendy et Greg achètent aussi toutes leurs céréales et de la paille. « Depuis que nous possédons la ferme, nous avons résisté à la tentation de retourner nos prés, expliquent-ils. Nous nous contentons de réintroduire, au printemps, du trèfle et des légumineuses avec un semoir Aitchison. Dans nos sols argileux et lourds qui gèlent en mars, les légumineuses ont en effet tendance à disparaître. » La fertilisation sur pâtures et prairies de fauche est réduite à un petit apport de 30 unités d'azote au printemps. La distribution de céréales (4,5 kg par vache et par jour) se fait en salle de traite sous la forme d'un mélange maïs-avoine. Très actifs au sein du réseau GrassWorks, dont Wendy est secrétaire, les Galbraith ont été parmi les premiers éleveurs de la région à croire au pâturage. Originaires tous deux de la ville (Chicago et Milwaukee), et diplômés en agriculture, ils se sont installés en 1988 après avoir travaillé comme salariés dans un élevage laitier très performant. Avec l'aide financière de leurs parents, ils ont pu acquérir une exploitation. D'une surface totale de 97 ha, elle comprenait une quarantaine de vaches holsteins, une petite étable entravée, deux tracteurs de quarante ans, et du vieux matériel pour faire le foin. Partis pour gérer leur troupeau de façon classique avec des performances laitières comme ils l'avaient appris à l'université, Wendy et Greg ont dû revoir leurs objectifs. En effet, dès le début de leur installation les galères liées au bâtiment et au matériel se sont enchaînées. « Chaque fois qu'une machine tombait en panne, c'était un désastre, se souvient Greg. Mon domaine de compétences se limitait à l'élevage. Je ne connaissais rien à la mécanique. L'exploitation ne possédait pas les équipements nécessaires à un troupeau hautement productif. Compte tenu des difficultés rencontrées, nous avons décidé en 1992 de changer de système. Nous avons choisi d'essayer le pâturage tournant, un système qui exigeait beaucoup moins d'intrants et de machines. » C'était un sacré défi à l'époque. « Personne ne pensait qu'on survivrait, se souviennent Greg et Wendy. Le grazing n'en était qu'à ses balbutiements. Le pâturage pratiqué par la génération des grands-parents avait été abandonné dans les annéessoixante-dix au profit des systèmeszéro pâturage. Au mieux, les vaches avaient quelques parcs autour du bâtiment pour prendre l'air. »

Opter pour l'élevage à l'herbe et le pâturage constituait une sorte d'expérimentation pour le couple, compte tenu de leur manque de connaissances en la matière. « Le peu de choses que nous savions sur le sujet venait d'articles de magazine que nous avions lus. Mais nous étions persuadés que c'était le bon choix pour notre exploitation, d'autant plus que notre étable entravée avec pipeline avait brûlé en 1997 et que nous nous retrouvions sans bâtiment. » Sur l'exploitation, tout était à faire, aucune clôture n'était posée. Mais Wendy et Greg étaient jeunes et confiants. « Nous nous sommes lancés d'abord sur la moitié de la surface pâturable, c'est-à-dire sur une trentaine d'hectares. Nous avons tout de suite apprécié cette façon de travailler. C'était beaucoup plus plaisant que de se battre en permanence avec le matériel. »

« DE LA HOLSTEIN VERS LA MILKING SHORTHORN, PLUS RUSTIQUE »

Au bout d'un an, Wendy et Greg ont fait appel à un consultant de l'école néozélandaise. « Il nous a appris à établir un planning de pâturage sur dix jours. Nous l'avons suivi “religieusement” pendant des années, souligne Greg. Aujourd'hui, je n'en ai plus besoin. Je connais mes parcelles et mon herbe, je sais intuitivement où je dois emmener mon troupeau. Nous avons appris à observer le comportement des animaux. En échangeant avec les autres agriculteurs grazers, nous avons aussi compris que nous pouvions développer de façon importante notre troupeau. Quand nous avons décidé de faire traverser la route à nos vaches pour valoriser l'ensemble de nos parcelles pâturables, nous avons brisé un véritable tabou. » En même temps qu'ils développaient le pâturage, les Galbraith faisaient évoluer progressivement leur troupeau holstein vers la milking shorthorn, une race originaire du comté de Durham (Angleterre) et dont Greg apprécie la rusticité et la docilité.

« La nouvelle salle de traite, construite après la destruction de la vieille étable, a été montée dans un hangar réalisé pour cela. Dotée d'un swing over, elle permet de traire en même temps deux fois 12 vaches. À deux, il suffit de 70 min, nettoyage compris, pour traire 100 laitières », note Wendy. Équipée d'un sol chauffant, l'installation possède une aire d'attente extérieure et des alimentateurs. Jusqu'à la fin de la saison d'herbe (fin novembre généralement), les vaches y reçoivent chaque jour 4,5 kg de céréales (maïs et avoine). C'est là aussi que sont pratiquées, pendant un bon mois en début de printemps, les inséminations… avant que les saillies naturelles au pré ne prennent le relais. À cette fin, Greg garde chaque année une dizaine de ses meilleurs veaux mâles. À l'instar d'une pratique fréquente aux États-Unis, c'est Greg lui-même qui insémine, dans la salle de traite en montant sur un simple escabeau. Après avoir investi dans la milking shorthorn, Greg s'intéresse à la normande. Au printemps 2011, il a réalisé cinquante inséminations artificielles normandes sur les premières vaches qui sont revenues en chaleur. Il fera de même ce printemps. « L'utilisation de cette race amènera de la diversité dans le troupeau. » Son choix s'est porté sur des taureaux de petite taille et avec une bonne facilité de vêlage. « La normande apportera à l'élevage plus de lait, de taux et de viande que la milking shorthorn, souligne Jérôme Château, responsable de la société Normande Genetics. Elle améliorera la rusticité des animaux. »

Sur l'exploitation, la plupart des veaux femelles sont élevés et nourris au lait de vache (colostrum en particulier). C'est l'affaire de Wendy. Ils sont gardés d'abord en case individuelle pendant une semaine, puis en groupe de cinq jusqu'à trois semaines. Ils sont ensuite conduits en lots d'une quinzaine. Une nursery récente garde les animaux au sec. Ceux qui ne seront pas conservés pour le troupeau seront cédés. L'été dernier, les veaux femelles se vendaient autour de 150 $ l'unité, soit 108 € avec la parité monétaire de l'époque (0,72 € pour 1 $). Les veaux mâles se commercialisaient alors à une semaine à 85 $ pièce, les génisses de l'année à 1 000 $, les laitières en production à 1 200 $ et les réformes (non finies) à 400 $.

« NOTRE LAIT EST VENDU À UNE COOPÉRATIVE CANADIENNE »

Après une année 2009 très difficile comme en Europe, avec un prix de base du lait tombé en dessous de 10 $ les 100 pounds (168 €/1 000 kg selon la parité monétaire actuelle : 0,764 € pour 1 $ en février 2011), les perspectives se sont améliorées. « 2010 a constitué une année décente, commente Wendy, et l'été dernier, le lait était payé autour de 23-24 $, primes qualité comprises. L'élevage a un bon niveau de cellules et des taux corrects. » Le lait collecté tous les deux jours est livré à une coopérative canadienne Agropur. Du fait de leur système de quota, les entreprises québécoises manquent de lait et viennent s'approvisionner aux États-Unis. Comme la plupart des producteurs de la région, Wendy et Greg ne sont liés par aucun contrat avec cette laiterie. « Nous pouvons partir quand nous voulons. » L'inverse est vrai aussi. « Mais avec la forte demande pour le lait, je ne crains pas d'arrêt de collecte, estime l'éleveur du Wisconsin. Sur le prix du lait, nous n'avons aucune visibilité, nous devons nous adapter aux baisses et aux hausses. Nous faisons les montagnes russes en permanence. » Dans ce contexte, avoir opté pour un système économe leur apporte une certaine sérénité. « Toutes les opérations réalisées entre l'herbe et le tank à lait génèrent des coûts, observe Greg. En réduisant ces derniers au minimum grâce au pâturage, nous améliorons notre revenu. Financièrement, nous sommes aujourd'hui sereins. Quand nous avons acheté l'exploitation, le terrain valait 500 $ l'acre (1 235 /ha). Il est aujourd'hui à 2 000 $ minimum (4 943 /ha). Par ailleurs, il suffit de vendre les animaux pour rembourser nos derniers emprunts. »

ANNE BRÉHIER

Des croisées holsteins, milking shorthorns et normandes dans le troupeau. L'IA est pratiquée au printemps pendant un bon mois, puis des taureaux prennent le relais.

Les investissements en bâtiment sont réduits au minimum : un couloir d'alimentation bétonné a été aménagé le long de la stabulation, un ancien abri à matériel. Il permet de nourrir les vaches l'hiver quand les conditions sont rudes, ainsi qu'au printemps quand les sols trop boueux rendent les parcelles difficiles d'accès.

La milking shorthorn, première race laitière des États-Unis au XIXe siècle, la vache des immigrants, est en voie de disparition. 3 000 animaux seulement seraient aujourd'hui enregistrés au contrôle laitier.

Les trois à quatre mois d'hiver, la stabulation est réservée aux plus fragiles : les petits veaux femelles, les génisses à vêler au printemps et les primipares. Au début du printemps, seules les fraîches vêlées ont encore accès à cet abri.

Le chemin stabilisé et solide assure un accès permanent aux paddocks, même en conditions humides. Comme classiquement dans les dispositifs néo-zélandais, les parcelles sont organisées de part et d'autre de celui-ci.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement